Le 1er février prochain paraîtra le livre Aller au cinéma ou faire l'amour (Textuel) de Christine Masson (illustré par Yann Legendre).
Dans ce récit très personnel, truffé d'anecdotes, la journaliste nous amène au coeur de ses rencontres avec les grands réalisateurs et acteurs de l'histoire du cinéma.
Les grands fauves du cinéma approchés de très très près…
Elle les a tous approchés de très près ces grands fauves que sont Pialat, De Niro, Wenders, Spielberg, Almodovar, Ferrara, Kaurismäki… Christine Masson livre ici pour la première fois les moments incandescents, insolites ou tendres qu’elle a vécus avec ces monstres du cinéma durant 30 ans. Comme ce jour où, alors que Francis Ford Coppola dînait à Cannes avec sa famille dans un petit restaurant italien, elle a convaincu chaque tablée de fredonner la musique du Parrain… Où ce jour où Lars von Trier l’a embarquée dans une folle séance d’hypnose dans les sous-sols d’un hôpital de Copenhague. Les magnifiques dessins de Yann Legendre saisissent parfaitement l’essence de ces textes, de ce parcours intime. Celui d'une femme consumée par l’amour du cinéma. Christine Masson, co-anime depuis 10 ans sur France Inter l’émission On aura tout vu consacrée au 7e art. Yann Legendre est illustrateur et directeur artistique. Il est l’auteur aux éditions Textuel de Grimm : contes choisis et À corps perdu (2014)
LE PARRAIN / FRANCIS FORD COPPOLA Cannes, 1996.
Francis Ford Coppola préside le jury de la quarante-neuvième édition et sa seule présence teinte la compétition d’une couleur particulière. Les films ne seront pas meilleurs avec Coppola mais c’est Coppola qui les regardera ! Nous l’avons tous bien observé à l’ouverture, pensant qu’il serait difficile ensuite de le croiser aux projections et encore plus sur la Croisette. Difficile… jusqu’à ce soir-là. Ce soir-là, je termine un sujet lorsqu’un journaliste entre dans la salle de montage, haletant : « Coppola est en bas, au restaurant italien ! Il dîne avec toute sa famille, en terrasse ! » Sans réfléchir, je quitte le monteur et la salle, je dévale les escaliers de l’hôtel pour vérifier l’information. Et l’information est juste. Dans ce restaurant italien, Coppola dîne tranquillement en terrasse avec sa femme et ses enfants autour d’une grande table ronde installée près de l’entrée. Une serviette blanche pour plastron devant un plat de pâtes et du vin. Une soirée familiale et intime. Tous les autres clients l’ont vu, comment ne pas le remarquer, et tous semblent respecter cette intimité. Pas de photographes, pas d’intrus ce soir-là… Ce tableau familial, un cliché de scène de repas italo-américain, dans une petite rue de Cannes, fait terriblement penser au Parrain. Un remake pour de vrai, sous nos yeux. Alors, pour parfaire le moment, j’ai envie de mettre un peu de musique sur la scène. Une dizaine de petites tables longent cette terrasse, je demande à toutes les personnes présentes la même chose : « À mon signal, pourriez-vous murmurer le thème du Parrain ? » Toutes les tables acceptent ma proposition, sans poser de questions… Je traverse la rue et, du trottoir d’en face, je lève les bras. Un, deux, trois !, et le petit miracle arrive, j’entends les premières notes de la fameuse mélodie, « Parle plus bas car on pourrait bien nous entendre… » Murmurée par ma chorale improvisée. Je suis réjouie et émue, tout le monde joue le jeu mais, lorsque mon regard glisse enfin sur le clan Coppola, la table entière semble ignorer ce concert impromptu. Conspiration familiale… Aucune réaction, pas un regard et Coppola, tête baissée dans son assiette, le bide total ! Une fois le refrain terminé, tout mon « orchestre » retourne à ses activités et à ses bavardages. Vexée, je ne veux pas traverser la rue et je remercie mes complices de loin. Un grand moment de solitude… et d’humiliation. Ce soir-là, dans mon enthousiasme, réel, je ne comprends pas pourquoi Coppola et sa famille n’ont prêté aucune attention à cet hommage « cinéphilique ». L’explication viendra quelques années plus tard… Un hiver à Paris. Seule chez moi et très fatiguée cette nuit-là, je reste malgré tout accrochée à la diffusion tardive d’un entretien avec le réalisateur américain. Pourquoi suis-je restée éveillée si tard ? Peut-être savais-je que quelque chose m’attendait… Et cette chose est arrivée. Lorsque James Lipton, le présentateur, ouvre le chapitre du Parrain, Coppola évoque dans le détail toutes les difficultés qu’il a eues à imposer et mettre en place son projet. Financement, casting et tournage épiques. Même si, plus tard, le film récolterait tous les honneurs, l’aventure l’avait épuisé… Il garde encore un souvenir terrible de cette saga au point qu’il ne supporte plus cette mélodie que, PARFOIS, DANS CERTAINS LIEUX PUBLICS, ON LUI FREDONNE… La phrase résonne dans tout l’appartement et, seule chez moi, sans témoin, je rougis devant mon poste ! Je rougis comme si Coppola était vraiment là devant moi et me livrait l’explication rétrospective de cet épisode cannois ! Je rougis et je rigole toute seule, je ris de ma naïveté et de mon attachement sentimental aux films…
Commenter cet article