Nouvelle exposition temporaire à la Maison Jacques Prévert
La Maison Jacques Prévert à Omonville-la-Petite, site géré par le Département de la Manche, propose au grand public une nouvelle exposition temporaire depsuis juin 2020 « Les frères Prévert font leur cinéma ». Cette exposition présente les relations artistiques et les collaborations cinématographiques de Jacques et Pierre Prévert.
LA MAISON JACQUES PRÉVERT LE DERNIER REFUGE DE L’ARTISTE
La Maison Jacques Prévert fait partie du réseau des sites et musées du Département de la Manche, qui l’achète suite au décès de Janine Prévert. La maison ouvre au public en 1995
Né en 1900, à Neuilly-sur-Seine, Jacques Prévert se lance dans l’écriture de textes pour le théâtre (groupe Octobre) dans les années 1930, puis pour le cinéma. Il devient scénariste et dialoguiste de films : Le Quai des brumes, Les Enfants du paradis… Ses premières œuvres, sans oublier les paroles de chansons, le conduisent naturellement à la poésie. Il publie le recueil Paroles en 1945, le premier d’une longue série et devient ainsi un poète populaire. Amoureux des images, il se passionne pour l’art du collage à partir de 1948. Jacques Prévert a 70 ans lorsqu’il achète sa maison d’Omonville-la-Petite. C’est son ami Alexandre Trauner, décorateur de cinéma et lui-même habitant du village, qui supervise la rénovation et les travaux de la maison. Réfugié dans ce charmant coin de campagne, Jaques Prévert apprécie le calme. Il continue à écrire et à réaliser des collages. Il disparaît le 11 avril 1977. Il est enterré dans le cimetière communal d’Omonville-la-Petite
UNE MAISON DEVENUE LIEU DE MÉMOIRE Janine Prévert, son épouse, a vécu à Omonville-la-Petite jusqu’à son décès, en 1993. Elle a fait le vœu que la maison devienne un lieu de viste et de mémoire consacré à l’œuvre de Jacques Prévert. Le site est à la fois une maison d’artiste et un musée. Le visiteur marche dans les pas du poète et plonge dans son intimité. Au-delà du quotidien, il découvre un véritable musée au fil des pièces de la maison, qui accueille une exposition permanente composée d’archives et d’œuvres originales
UN MUSÉE POUR TOUS Chaque année, une exposition temporaire présente les différentes facettes de la vie et de l’œuvre de Jacques Prévert, et notamment ses collaborations avec les grands artistes de son temps. La Maison Jacques Prévert propose également des visites-ateliers pour les enfants et les adultes. Elle participe à de grands évènements nationaux comme le Printemps des poètes ou la Nuit des Musées. Le site accueille environ 12 000 visiteurs par an.
DES FRÈRES AMIS À la naissance de Pierre Prévert (1906-1988), Jacques (1900-1977) promet de l’aimer beaucoup, mais ce n’est qu’à l’âge adulte qu’ils deviennent des camarades inséparables, des frères amis à la fois complices et complémentaires. Serge Reggiani feint de ne pouvoir les dissocier et déclare : « J’aime Jacques-Pierre Prévert ». Pourtant, les deux frères ne se ressemblent pas physiquement. Leurs personnalités sont également différentes, comme le souligne le scénariste Louis Chavance, ami des Prévert : « Jacques est plus rond et plus carré à la fois, comme disent les bonnes gens. Il est aussi violent. […] Pierre est plus fin, plus tendre et plus affectueux ; ce qui domine dans son tempérament est une immense gentillesse » (Positif, n°9, 1953). Leur passion du septième art, très tôt nourrie par Pierre, renforce leur complicité et leur permet de travailler ensemble. Jacques au scénario, Pierre à la mise en scène, ils réalisent ensemble plusieurs films dans les années 1930 et 1940. Ils apportent au cinéma un comique spécifique, teinté de burlesque, de poésie et de surréalisme. Si l’empreinte de Jacques Prévert sur le cinéma a marqué la mémoire collective, ce n’est pas le cas pour son frère. Pierre le reconnaît sans envie, ni amertume : « Il y a d’un côté Jacques Prévert, de plus en plus connu, et davantage maintenant par ses livres que par ses films, et d’autre part un Pierre Prévert qui n’a que fort rarement collaboré avec son frère, et malheureusement à des films dont la carrière fut, chaque fois, des plus brèves » (Cinéma 68). Les films des frères Prévert n’ont pas rencontré un succès immédiat. Il aura fallu attendre plusieurs années avant que leurs œuvres cinématographiques trouvent enfin leur public. En 2020, il sera possible de (re)découvrir es « classiques » du cinéma français : les films L’Affaire est dans le sac et Voyage Surprise seront disponibles dans un coffret DVD
ŒUVRES ET COLLECTION Le commissariat de l’exposition a été assuré par le Département de la Manche, ainsi que par Laurence Perrigault, maître de conférences en littérature à l’université de Nantes, et Patrice Allain, maître de conférences à l’université de Nantes (équipe de recherches de l’AMO, l’Antique, le Moderne). Environ 110 œuvres sont présentées au rez-de-chaussée de la maison : photographies, documents manuscrits, éditions originales, éphémérides et revues d’époque. Les œuvres exposées sont : - des prêts issus des collections privées de Patrice Allain, Laurence Perrigault, Thérèse Bonin (ayant-droit de Lou Tchimoukow) et Gérard Fusberti (propriétaire des Jardins en hommage à Jacques Prévert à Saint-Germain-desVaux, La Hague). - des prêts et reproductions issues des archives de Catherine Prévert (fille de Pierre Prévert). - des œuvres de la collection du Département de la Manche.
POUR QUI ? Cette exposition permet de présenter la complicité de Jacques Prévert avec son frère Pierre et leurs collaborations cinématographiques. Elle s’adresse à tous les publics : familial, local ou touristique, ainsi que les groupes scolaires, périscolaires et adultes.
À LA DÉCOUVERTE DE L’EXPOSITION ENFANCES Jacques Prévert est né le 4 février 1900, à Neuilly-sur-Seine. Il est le troisième fils de Suzanne et André. Un premier frère, André, est mort en bas âge. Puis naît Jean, en 1898. Il décède 17 ans plus tard de la fièvre typhoïde. Les deux frères sont rejoints par Pierre, le 26 mai 1906. André, Suzanne et leurs enfants forment une famille heureuse, malgré les aléas financiers et la dureté du quotidien. Les frères Prévert sont élevés par un père fantasque, bien que neurasthénique, et une mère joyeuse et rêveuse. Dans sa jeunesse, André rêve d’être acteur, comme son frère Dominique, ou écrivain. Pour la déclaration de naissance de Jacques à la mairie, il se décrit comme « homme de lettres ». Il aime le théâtre et rédige des critiques pour la presse : « Tout jeune, mon frère et moi, nous avons suivi ses guêtres dans les théâtres de Paris, et surtout dans les coulisses, à l’Odéon principalement » (Pierre Prévert, Image et son n°172, 1964). En 1895, il publie le roman Diane de Malestrec sous forme de feuilleton. Jacques Prévert se souvient que cette histoire était très difficile à lire et que son père était le premier à le reconnaître. Suzanne, elle, incarne « l’étoile de la vie » dans la famille. Elle respire la gaiété, souvent prise de fous rires. Elle apprend à lire à Jacques et lui donne le goût de la lecture. Elle a beaucoup moins de temps à lui consacrer depuis l’arrivée de Pierre, mais Jacques se félicite de savoir désormais lire seul. L’amitié entre les trois frères ne va pas de soi. Jacques est frappé par la beauté et le sérieux de Jean. Il l’aimait parce que c’était son frère mais «on ne riait pas des mêmes choses ou jamais en même temps peut-être » (Enfance). Puis, à la naissance de Pierre, il se souvient : « Sans doute pour faire plaisir à ma mère, je déclarai que je l’aimerai beaucoup. Plus tard, ce que j’avais dit devint vrai, mais je mis beaucoup de temps avant de m’en apercevoir » (Enfance).
LES LUMIÈRES DU CINÉMATOGRAPHE Chaque semaine, la famille Prévert se rend au cinéma. « Nous quand on était petits, on allait au cinéma. C’està-dire qu’on avait une situation particulière, même si on ne mangeait pas régulièrement, ou à crédit le plus souvent, on allait au cinéma. D’abord, ça ne coûtait pas cher, de plus, aussi bien mon père, que ma mère, mon frère et moi on aimait le cinéma » (J.Prévert, Image et son, n°189, 1965). Les frères Prévert découvrent le cinéma au temps des films muets, ces « histoires sans paroles ». Jacques écrira plus tard dans un poème dédié à Jean Gabin : « Le cinéma n’a jamais été muet. Il avait tant de choses à dire primitivement qu’il le disait en se taisant internationalement ». La famille Prévert fréquente les salles du Panthéon et des Mille Colonnes. André Prévert ruse souvent pour que ses fils puissent se faufiler sans avoir à payer.
Pierre Prévert rapporte que lui et son frère préféraient les films comiques, notamment américains, et les serials ou films à feuilleton. Tous deux rient devant le burlesque et les gags de Charlot, Max Linder, Buster Keaton et Mack Sennett. Ils aiment les histoires d’aventure comme Le Vautour de la sierra (1909) de Victorin Jasset ou les westerns de Rio Jim (1914-1917) par William S. Hart. Ils suivent également des serials policiers : les enquêtes du détective Nick Winter ou Zigomar (1910) de Victorin Jasset. Ils sont tenus en haleine devant les films à feuilleton de Louis Feuillade, comme Fantômas (1913) et Judex (1917). Chaplin est l’une de leurs personnalités préférées. Pierre Prévert atteste avoir vu presque tous ses films. En 1948, il lui consacrera le texte Charlie Chaplin, humour de toutes les couleurs dans Ciné-club, l’un des rares articles qu’il a écrit. En 1927, dans le texte Hands off Love, publié dans les revues Transition et La Révolution surréaliste, Jacques Prévert prendra la défense de Chaplin face à son épouse qui l’accuse de cruauté mentale et de goûts sexuels anormaux. Plus tard, le cinéma des Prévert multipliera les clins d’œil aux idoles burlesques de leur enfance.
DRÔLES DE BOBINES « Par la suite, Pierre aurait bien voulu, lui, travailler au cinéma. Moi, je ne voulais travailler nulle part. À ce moment-là, je demeurais avec Tanguy chez Marcel Duhamel qui nous faisait vivre. Nous nous laissions vivre. […] J’ai vu une annonce un jour, qui demandait quelqu’un pour travailler chez Erka-Prodisco. C’était une place comme une autre, mais c’était du cinéma, alors j’ai emmené Pierre » (J.Prévert, Image et son n°189). En 1923, Pierre est employé dans la firme de distribution Erka-Prodisco, à l’âge de 17 ans. Il est chargé de coller les coupures de presse et de vendre les affiches et les photographies de publicité – il en subtilisera d’ailleurs quelques-unes pour décorer la maison de la rue du Château, où habite son frère. Puis, le projectionniste lui propose de l’initier à son métier de technicien : « Je le remplaçai et visionnai alors toutes les copies qui sortaient du tirage avant de les livrer à l’exploitation. J’ai ainsi appris sans m’en rendre compte comment se faisait un film et ce qu’était le montage » (P. Prévert, Image et son n°172). De son côté, Jacques mène une vie de bohême. Il rencontre les surréalistes, avec qui il partage débats d’idées et excentricités, mais aussi le goût pour le cinéma populaire. Il fréquente assidûment les cinémas de quartier avec un groupe d’amis composé notamment de son frère, Marcel Duhamel, Éli Lotar, Raymond Queneau, Yves Tanguy et Lou Tchimoukow. À cette époque, Jacques Prévert témoigne une certaine hostilité à l’émergence du parlant, ce qui peut sembler paradoxal pour ce futur dialoguiste. Pierre organise des séances nocturnes pour son frère et ses amis, dans les sous-sols de la maison Erka-Prodisco. Il leur projette les premiers films de gangsters de Tod Browning et les dernières nouveautés.
L’amitié du groupe des surréalistes aura une influence certaine sur l’œuvre de Pierre Prévert : « Le surréalisme, pour moi, est particulièrement lié au cinéma, car les plus belles soirées de ma jeunesse furent celles, nombreuses et combien variées, que j’ai passées soit au cinéma, soit au 54 rue du Château en leur compagnie » (P. Prévert, Les Prévert de Gérard Guillot, 1966).
PARIS EXPRESS En 1928, Marcel Duhamel veut se lancer dans l’industrie du cinéma. Il décide de fonder sa propre société de production Roebuck-Films, et de réaliser un premier film en collaboration avec les frères Prévert. Jacques se souvient : « Et un beau jour, Duhamel me dit : « Tiens, si on faisait un film ? » […] Moi, j’ai écrit plus tard vers 1930. Ça c’était en 1927. Alors j’ai écrit un scénario » (Image et son n°189). Pierre quitte son emploi à Erka-Prodisco. Ce premier film sera un documentaire sur Paris. Pour Jacques : « Paris c’était d’abord les quartiers que je préférais, avec le moins possible de monuments, et le plus possible de femmes dans les rues de tous les quartiers » (Image et son n°189). Pierre partage cette vision : « Le lien de notre scénario était la femme : la Parisienne. Nous la suivrions et la quitterions pour en rencontrer une nouvelle et passer ainsi, avec celle-ci d’un quartier de Paris dans un autre » (Études cinématographiques, n°38-39). Assisté de Pierre Prévert, Marcel Duhamel se charge de la réalisation du film intitulé dans un premier temps Paris Express, puis Souvenirs de Paris. Man Ray est chef-opératur, assisté par Jacques-André Boiffard. Le tournage se fait à la sauvette, en juillet et août 1928. La caméra suit les déambulations des Parisiennes place de l’Opéra, rue de Rivoli, gare Saint-Lazare, etc. Les proches font de la figuration. On aperçoit André Prévert au jardin du Luxembourg, Simone (première épouse de Jacques) sur un bateau-mouche, Kiki de Montparnasse (compagne de Man Ray) à la terrasse du café La Rotonde, Max Morise rue de la Paix. Les frères Prévert et Duhamel apparaissent également dans le film. Le poète Robert Desnos affirme que « Souvenirs de Paris dépasse en humanité et en poésie tous les films prétentieux et ridicules des littérateurs du cinéma français ». Pourtant, le court-métrage ne connaît pas de véritable exploitation en salle. Il est seulement projeté aux amis et au cinéma le Studio 28. En 1958, les frères Prévert revoient le film grâce à Henri Langlois qui, tombé sous le charme, le programme à la Cinémathèque. Ils décident de le retravailler. Ils incorporent une bande sonore : la musique de Louis Bessières et la voix d’Arletty. En contraste avec les images en noir et blanc, plusieurs scènes en couleurs sont ajoutées. Le film sort en 1959 sous un nouveau titre, Paris la belle. L’année suivante, il est récompensé au Festival de Cannes et reçoit le prix Chevalier de La Barre
MOTEUR ET… ACTION ! Après Paris Express, Pierre Prévert poursuit sa carrière dans le cinéma. Il enchaîne les tournages, curieux de tout et avide d’apprendre. Il travaille comme assistant de plusieurs réalisateurs : Alberto Calvacanti pour Le Petit Chaperon rouge (1930), Jean Renoir pour La Chienne (1931), Jean Mamy pour Baleydier (1932), Marc Allégret pour La Petite Chocolatière (1932) et Fanny (1932). Il aime également passer devant la caméra. Il joue des silhouettes dans les films sur lesquels il est assistant. On lui confie aussi des petits rôles dans d’autres longs-métrages. Il interprète un jeune premier un peu niais dans La Joie d’une heure (1930) d’André Cerf. Dans L’Âge d’or (1930) de Luis Buñuel, il incarne Péman, un bandit malade. Jacques, lui, prend goût à l’écriture. Il publie quelques textes dans des revues spécialisées. À partir de 1930, il collabore à l’agence publicitaire Damour, avec Paul Grimault et Jean Aurenche. Ils font parfois appel à Pierre pour des apparitions dans leurs films publicitaires. Jacques écrit également des scénarios, qui ne seront malheureusement jamais réalisés. Il se lie d’amitié avec « les gens qui faisaient La Revue du cinéma » : Jean-Georges Auriol, Jacques-Bernard Brunius et Roger Blin. C’est Jacques-Bernard Brunius qui présente les frères Prévert à Pierre Batcheff, jeune premier de l’époque. Les quatre amis décident de faire un film ensemble. Brunius décrit le travail sur Émile-Émile ou Le trèfle à quatre feuilles : « Nous nous réunissions tous les quatre presque quotidiennement. […] Nous discutions, rigolions dans une collaboration très intime, aussi bien sur les gags que sur le dialogue et le découpage plan par plan » (En marge du cinéma français, 1954). Mais le projet prend fin en 1932 avec la mort de Pierre Batcheff, qui devait interpréter le rôle principal. Au même moment, Jacques Prévert est approché par des comédiens amateurs qui lui commandent un texte de théâtre engagé. Il accepte la proposition et devient l’auteur principal de la troupe du groupe Octobre. Il le reste jusqu’en 1936, sans s’éloigner pour autant des plateaux de cinéma.
L’AFFAIRE EST DANS LE SAC Charles David, directeur de la production aux studios Pathé-Natan, trouve du talent à ses amis, les frères Prévert. En 1932, il leur propose de tourner un film dans des décors déjà existants. Bernard Natan accepte qu’ils utilisent ceux créés pour La Merveilleuse journée de Léonce Perret, avant leur démolition. Les Prévert dénichent, dans les archives Pathé, un scénario signé du hongrois Akos Rathony. Jacques adapte l’histoire et écrit les dialogues en huit jours. L’Affaire est dans le sac met en scène un chapelier et un jeune homme qui veulent enlever la fille d’un milliardaire. Ils se trompent et kidnappent le milliardaire lui-même. Cette histoire burlesque est prétexte à de multiples gags. Elle tourne en ridicule les idées reçues et les valeurs morales. L’insolence des répliques ajoute à la provocation. Une scène est même censurée dans laquelle un gendarme (Lou Tchimoukow) vole un képi dans la boutique du chapelier.
Le tournage dure huit jours. Les décors sont modifiés la nuit. C’est avant tout un film de copains, où on rit et on s’amuse sur le plateau. Les comédiens amateurs (Jacques-Bernard Brunius, Jean-Paul Dreyfus, Marcel Duhamel, Ghislaine May) côtoient les professionnels (Lucien Carette, Étienne Decroux, Daniel Gilbert, Lucien Raimbourg). Jacques Prévert apparaît en joueur de flûte. Pierre Prévert et Louis Chavance montent et finalisent le film en trois semaines, durant lesquelles Maurice Jaubert compose la musique. Le film est présenté à a production dans une salle Pathé. Son esprit corrosif rencontre un accueil glacial. Deux scènes gênent au plus haut point : celle du « béret français » dans laquelle le couvre-chef est moqué (à l’époque, le béret est porté par les ligues patriotiques d’extrême-droite) et celle où le coq, emblème de Pathé, est tourné en ridicule. Bernard Natan ordonne de détruire toutes les copies du film. Quelques-unes échappent au massacre, ce qui permettra à l’œuvre de passer à la postérité grâce aux ciné-clubs et à la Cinémathèque française. En 1965, Jacques Prévert déclare : « c’est encore le film que je préfère à tous ceux que j’ai faits comme scénariste et avec mon frère comme metteur en scène » (Image et son n°189).
SERVIS SUR UN PLATEAU En 1933, Pierre réalise le court-métrage Monsieur Cordon, puis son premier long-métrage Le Commissaire est bon enfant (1935) avec Jacques Becker. Par la suite, il s’investit activement dans la mise en scène et l’aspect technique des films. Il travaille comme assistant pour de nombreux réalisateurs : Richard Pottier pour cinq films de 1934 à 1938, Robert Siodmak pour Capitaine Mollenard (1938), Maurice Gleize pour Le Récif de corail (1939) et Marc Allégret pour Félicie Nanteuil (1939). Il continue également à faire de la figuration. Le cinéma devient une activité stable et rémunératrice pour Jacques. Il apparaît au générique comme scénariste et dialoguiste. Il met ses mots au service de Claude Autant-Lara, Jean Renoir, Christian-Jaque… À partir de 1935, c’est sa collaboration avec Marcel Carné qui marque les esprits. Pendant une décennie, les deux hommes créent plusieurs films à succès. Jacques et Pierre écrivent plusieurs scénarios ensemble (Attention au fakir, Guichet quatorze…) mais la plupart n’aboutisse pas. Après l’échec de L’Affaire est dans le sac, les producteurs sont réticents à les financer : « Mais chaque fois qu’on voulait travailler ensemble, mon frère et moi, ça offrait beaucoup de difficultés. Dès qu’on pouvait, on le faisait. Chaque fois que mon frère faisait un film, la formule « un film pas comme les autres » revenait. C’était très flatteur en apparence, mais en réalité… » (J. Prévert, Image et son n°189). Les deux frères se retrouvent tout de même sur les plateaux de tournage. Ils sont figurants dans Prix et profits (1932) d’Yves Allégret ou L’Atalante (1933) de Jean Vigo. Ils travaillent ensemble, l’un comme scénariste et l’autre comme assistant-réalisateur, sur L’Hôtel du libre-échange (1934) de Marc Allégret, Un Oiseau rare (1935) de Richard Pottier, Moutonnet (1936) de René Sti et Drôle de drame (1937) de Marcel Carné.
ADIEU LÉONARD En 1943, le producteur André Desfontaines propose aux frères Prévert de faire un film. Ils s’accordent sur un scénario qu’ils ont écrit des années auparavant, L’Honorable Léonard. Le projet change de titre pour Adieu Léonard, à cause du film L’Honorable Catherine, sorti peu de temps avant. L’histoire met en scène Léonard, un commerçant ruiné et menacé de chantage s’il n’assassine pas Ludovic, un sympathique poète auquel il ne veut aucun mal. Le scénario est empreint de burlesque et d’un esprit surréaliste. Distributeur du film, la Maison Pathé impose Charles Trenet pour le rôle de Ludovic. Pierre et Jacques désapprouvent, mais ils n’ont pas le choix. Les relations entre la vedette et Pierre Prévert sont conflictuelles sur le tournage. Par la suite, Trenet défendra le film et concèdera : « Je ne me suis pas toujours entendu avec Pierre Prévert mais je garde un très bon souvenir de ce film-là » (Image et son n°189). Julien Carette, Jacqueline Bouvier et Pierre Brasseur complètent la distribution. Pour interpréter les petits rôles, les Prévert font appel aux amis du Flore : Mouloudji en ramoneur, Raymond Bussières en peintre, Roger Blin et Simone Signoret en gitans… Le film est tourné en février et mars 1943, pendant la seconde guerre mondiale. Le tournage a lieu en zone libre, à Siest, près de Dax. Les Prévert engagent un maximum d’amis dans la distribution et dans l’équipe technique, afin de les mettre en sécurité et de leur éviter le STO (service du travail obligatoire). À sa sortie, le film est peu diffusé dans les cinémas et ne trouve pas son public. L’esprit de dérision et de subversion des Prévert ne fait pas recette, une fois de plus. Cependant, Pierre Prévert aura l’heureuse surprise de voir Adieu Léonard récompensé en 1983, par le prix des films réalisés sous l’Occupation du festival des films rares de Bondy.
VOYAGE SURPRISE Peu de temps après Adieu Léonard, Roland Tual approche les frères Prévert pour produire un nouveau film. Ils choisissent de s’inspirer de Voyage surprise, une nouvelle de Maurice Diamant-Berger. L’adaptation est écrite par Pierre Prévert et Claude Accursi, et les dialogues par Jacques. L’histoire est celle de Piuff, un garagiste au bord de la faillite qui subit la concurrence de Grosbois. Pour attirer la clientèle, il décide d’organiser un nouveau type de voyage. Grosbois essaie sans succès de saboter le projet, tandis qu’un anarchiste à la recherche d’un trésor s’en mêle. Ce voyage fantaisiste répond à ses promesses de surprise : un autocar à la décoration farfelue, une femme en robe de mariée dans un arbre ou des policiers face à une tempête artificielle. La poésie et l’absurde offrent un savoureux mélange dans cette comédie. Le tournage a lieu entre Saint-Flour et Palavas-les-Flots, d’août 1946 à janvier 1947. Comme pour tous ses films, Pierre Prévert s’entoure des copains. Lou Tchimoukow est son assistant. Joseph Kosma compose la musique
Alexandre Trauner imagine les décors. Maurice Baquet, Martine Carol, Étienne Decroux, Annette Poivre et Jean Sinoël incarnent les personnages de ce voyage. Le comédien Piéral se souvient du tournage : « Pierre Prévert dirigeait les acteurs calmement. C’était la gentillesse même, mais il ne laissait rien au hasard » (Prévert, les frères amis, Jean-Claude Lamy, 1997). Mais ce film « follement gai » désoriente les spectateurs. Son originalité ne rencontre pas le succès, d’autant que les producteurs ont imposé des coupes qui rendent certaines scènes incompréhensibles. Après deux semaines d’exclusivité et un bref passage en province, la carrière de Voyage surprise s’achève. Il est le dernier long-métrage de Jacques et Pierre sorti sur grand écran
HORS DES PLATEAUX DE CINÉMA Après Voyage surprise, les Prévert travaillent à un nouveau film intitulé Hécatombes ou L’Épée de Damoclès. En 1948, le projet est annulé suite à un grave accident de Jacques Prévert (il chute du premier étage d’un immeuble). Les deux frères vont alors progressivement s’éloigner des plateaux de cinéma. Jacques se consacre davantage à son œuvre poétique encouragé par le succès immédiat de son premier recueil Paroles (1945). Pierre, lui, se lance dans une nouvelle aventure. À partir de 1951, il assure la direction artistique de La Fontaine des Quatre Saisons, un cabaret parisien de la rive gauche. De nombreux artistes y sont programmés : les fidèles amis comme Boris Vian, Jacques Dufilho, Elsa Henriquez, Germaine Montero ou Mouloudji ; mais également de jeunes talents comme Guy Béart, Guy Bedos, Maurice Béjart, Robert Lamoureux ou Jean Yanne. Pierre est souvent rejoint par son frère qui officie en tant que spectateur ou créateur de spectacle. Le 18 juin 1951 est présenté avec succès Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France : « En élégant complet bleu, chemise rose à rayures et feutre gris. Jacques Prévert, le mégot collé aux lèvres, accueillit sans sourciller les ovations des mêmes personnes qu’il venait de caricaturer si cruellement sur scène » (Paris-Presse, 21 juin 1951). En 1954, la Compagnie Grenier-Hussenot recrée La Famille Tuyau de poêle ou une famille bien unie, écrit pour le groupe Octobre. Le cabaret devient vite à la mode et le tout-Paris s’y presse. Bien souvent, le spectacle est autant dans la salle, où l’on voit rire aux éclats Charlie Chaplin, que sur la petite scène. Pendant cette période, les frères n’abandonnent pas complètement le septième art. Ils participent ponctuellement à des projets et privilégient les collaborations amicales.
En 1958, le cabaret ferme ses portes. Quelques années après, Dina Vierny, propriétaire des lieux, y crée le musée Maillol. Aujourd’hui, les loges et la cuisine de l’ancien cabaret accueillent le restaurant du musée, baptisé le Café des frères Prévert. SUR LE PETIT ÉCRAN Dans les années 1960, Pierre Prévert commence une nouvelle carrière à la télévision. Il fait alors appel à ses fidèles amis du cinéma : Roger Blin, Raymond Bussières, Paul Grimault, Jeanne Witta… En 1961, il réalise le documentaire Mon frère Jacques pour la télévision belge, produit par la Cinémathèque royale de Belgique. Jacques y évoque ses activités passées, en compagnie de Pierre et des amis qui lui rendent visite à son domicile. Des extraits de films et de textes ponctuent ces entretiens. Entre 1964 et 1966, Jacques et Pierre collaborent de nouveau, l’un au scénario, l’autre à la réalisation, pour trois téléfilms : Le Petit Claus et le Grand Claus réalisé avec Paul Grimault, d’après un conte d’Andersen, La Maison du Passeur et À la belle étoile. Pierre apprécie de travailler pour la télévision : « Pour moi, il n’y a aucune différence entre le cinéma et la télévision. C’est toujours un spectacle » (Cinéma 68). La télévision lui permet d’avoir la pleine responsabilité de ses projets car « on vous fout entièrement la paix ». Contrairement au cinéma, les producteurs ne cherchent pas à influer sur son travail. Il aime aussi l’implication et l’esprit d’équipe à la télévision : « les techniciens de la télévision, les monteurs, les assistants, les ingénieurs du son aiment leur boulot, en parlent entre eux, regardent et discutent les émissions des copains. C’est très important parce qu’un film n’est jamais l’œuvre d’un seul […] mais d’une équipe » (Cinéma 68). En 1968, Pierre Prévert réalise « un vieux rêve : tourner un feuilleton, pareil à ceux pour lesquels nous nous étions passionnés, mon frère et moi, quand nous découvrions le cinéma » (Cinéma 68). Les Compagnons de Baal est un hommage aux films de son enfance et particulièrement ceux de Louis Feuillade. Le scénario de ce feuilleton fantastique est d’ailleurs signé Jacques Champreux, petit-fils de Louis Feuillade. Le travail de Prévert pour la télévision est un mélange toujours aussi détonnant de poésie et de comique. Et comme dit Jacques Prévert : « Le style télévisé, ça n’existe pas ! Le bon film, c’est de la bonne télévision. Il suffit d’avoir un poste ! » (Les Prévert, Gérard Guillot)
DES ANIMATIONS INCONTOURNABLES La Maison Jacques Prévert propose un programme culturel riche en évènements et animations pour célébrer les 120 ans de la naissance de Jacques Prévert.
LES ÉVÈNEMENTS JOURNÉES EUROPÉENNES DU PATRIMOINE Samedi 19 et dimanche 20 septembre de 11h à 18h. Jean-Baptiste Blom vient à la rencontre des visiteurs de la Maison Jacques Prévert pour échanger et partager autour de son travail artistique. Les journées européennes du patrimoine, c’est aussi l’occasion d’une visite libre et gratuite de la dernière demeure du poète. Entrée gratuite. LIGNE D’HORIZON, LIGNE DE RAISON Septembre à décembre Le plasticien Jean-Baptiste Blom présente une série de photographies réalisée lors de sa résidence d’artiste au centre de Regnéville-sur-Mer. Ligne sans limites, ni contours, qui ne dessine qu’elle-même, qui tend notre imaginaire en deux points extrêmes. Ligne que l’on peut aussi saisir comme un objet et qui confirmerait que l’imaginaire réside plus dans les choses qu’au-delà des choses, comme le montre si bien les collages de Prévert. LES ANIMATIONS DESSINE-MOI UN SCÉNARIO Mercredis 12 août de 14h30 à 16h / pour les 8-12 ans. Après avoir regardé un extrait du dessin animé Le Roi et l’Oiseau, les enfants deviennent, tout comme Jacques Prévert, scénaristes du film. Ils conçoivent un mini story-board, puis une planche scénaristique « à la manière de Prévert ». DRÔLE DE COLLAGE Mercredis 29 juillet, 19 août de 14h30 à 16h / pour les 8-12 ans. Les enfants réalisent un collage « à la manière de Prévert » en s’inspirant de l’histoire loufoque du film Drôle de drame du duo Carné/Prévert. COLLAGE POÉTIQUE Tous les mardis de juillet et août de 14h30 à 16h30 / pour les adultes. Les visiteurs s’inspirent des collages originaux de Jacques Prévert pour créer leur propre œuvre, dans un esprit surréaliste. POP-UP PRÉVERT Mercredis 21 et 28 octobre de 14h30 à 16h / pour les 8-12 ans
Après avoir regardé des extraits de films des frères Prévert, les enfants recréent des scènes grâce à la technique du pop-up. Tarif des ateliers : droit d’entrée + 1 €. Réservation obligatoire, sauf pour Prévert Express. La Maison Jacques Prévert est ouverte tous les jours : - juin, juillet et août : de 14h à 19h - septembre : de 11h à 18h - octobre : de 14h à 18h. Tarifs : 5 €/adulte ; 2,50 €/enfant ; 3,50 €/tarif réduit ; 15 €/pass famille ; 7 €/carte fidélité. Informations pratiques Maison Jacques Prévert 3 Hameau du Val Omonville-la-Petite 50440 LA HAGUE Tél : 02-33-52-72-38 - Fax : 02-33-93-20-43 Courriel : musee.omonville@manche.fr Facebook : Patrimoine et musées de la Manche Renseignements sur le site : patrimoine.manche.fr
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